© Bruno Levy (Le Moniteur) / Catherine Carpentier
De gauche à droite : Emmanuelle Colboc et Catherine Carpentier, architectes
Un rapport accablant sur certains textes réglementaires qui régissent l’accessibilité dans la construction de logements neufs a été remis à la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP). A son origine, un groupe de réflexion créé sous l’égide du Syndicat de l’Architecture et missionné par le Ministère de l’Ecologie. Mené par Emmanuelle Colboc et Catherine Carpentier, architectes, ce rapport technique et argumenté propose de modifier finalement peu de dispositifs afin de s’adapter à la réalité des situations.
Vous avez remis à la DHUP un rapport qui pointe les incohérences de certains textes de la loi accessibilité. Pourquoi avoir initié ce travail ?
Emmanuelle Colboc : Tout a commencé, il y deux ans, quand nous étions sur un projet de 160 logements étudiants, tous accessibles, et que nous nous disions que les contraintes de la réglementation, appliquées à 100% de ceux-ci, nous empêchaient de garantir la qualité d’usage attendue, par tous, qui est l’un des objectifs du métier même d’architecte. Dans le même temps, d’autres architectes s’énervaient aussi. Une lettre ouverte co-signée par Cristina Conrad en qualité de présidente des architectes conseils de l’État, Dominique Tessier, alors président du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes d’Ile de France et moi-même, adressée au Secrétaire d’Etat au Logement de l’époque Benoist Apparu, a été le catalyseur. Les réunions qui ont suivi avec la DHUP ont permis d’illustrer l’urgence d’une réflexion visant à apporter des solutions. L’idée du groupe de travail, missionné par le ministère, était lancée. Il s’est très vite constitué autour d’architectes d’appartenances diverses, mais aussi de représentants d’associations de personnes handicapées, de maîtres d’ouvrages, de représentants de bureaux de contrôle et de responsables de ces questions à la DHUP.
Quelle a été votre méthode de travail ?
Catherine Carpentier : Nous voulions décrire, exemples à l’appui, une situation paradoxale et nous concentrer uniquement sur le logement, secteur qui nous semble le plus affecté. Pour des raisons économiques, il subit depuis plusieurs années une diminution des surfaces habitables, pour cause de solvabilité des locataires ou des acquéreurs. Cette nouvelle règle est arrivée en même temps que ces baisses de surfaces ce qui rend d’autant plus difficile son application. Nous nous sommes aussi volontairement limitées aux points et articles de la réglementation qui avaient le plus d’impact sur la qualité des logements.
En quoi la réglementation vous semble incohérente ?
Emmanuelle Colboc : La nouvelle loi sur l’accessibilité de 2005 a présenté une avancée majeure. Mais, certains textes de l’arrêté ou la circulaire du 30 novembre 2007 engendrent des interprétations et créent de fait une confusion. A titre d’exemple, et comme l’a rappelé un des participants au groupe de travail, Christian François, administrateur de l’Association Nationale pour l’Intégration des Personnes Handicapés Moteurs (ANPIHM), la circulaire de 2007 interdit toute possibilité d’abattre une cloison, il s’agit d’une maladresse rédactionnelle car le législateur assimile à tort cette cloison à du gros-oeuvre. Ceci exclut en conséquence de menus travaux faciles qui pourraient apporter une réelle plus-value d’usage pour un coût minime. Dans le même esprit, des contradictions de terminologie ou de définition entre diverses normes entraînent aussi des disparités d’appréciation alors même que les questions à appréhender concernent une même typologie de logement. Par exemple, le cas de deux logements superposés qui relèvent tantôt du bâtiment collectif, tantôt de l’habitat individuel avec une incidence sur l’accessibilité aux PMR du logement en étage .
Quels enseignements, tirez-vous de ces deux années de travail ?
Emmanuelle Colboc : C’est dans la collaboration que nous réussirons à faire du logement pertinent. Le débat, parfois animé mais toujours constructif, nous a permis de mieux nous comprendre. De notre côté, architectes et maîtres d’ouvrage, nous avons pu appréhender les besoins des personnes handicapées et de leur côté, elles ont compris à quel point il était difficile d’appliquer les normes avec la diminution des surfaces. Il faudrait même aller plus loin. A l’instar de la loi incendie et de ses évolutions où il existe une véritable concertation avec les « sachants » que sont les pompiers, nous aimerions pouvoir être présents dans les commissions de personnes handicapées sur le sujet de l’accessibilité des logements.
Vous souhaitez revenir à la notion d’adaptabilité. Mais n’est-ce pas un retour en arrière ?
Emmanuelle Colboc : Non, on parle plutôt de bon sens. D’ailleurs, tout au long de nos discussions, l’adaptabilité a été omniprésente et s’est imposée comme une évidence au-delà de simples critères normatifs. Cette notion nous paraît être la plus raisonnable, sur les plans à la fois technique et économique. Elle permet de trouver les bonnes solutions spatiales selon les différents besoins car elle prend tout en compte : le handicap ou plutôt les handicaps, le vieillissement, les ajustements de la structure familiale… Aujourd’hui, les réglementations tendent à faire croire que l’application des mesures normatives propose du « sur-mesure » alors que les architectes ont franchement le sentiment de construire un mauvais « prêt-à-porter ».
Quelles sont les autres réflexions majeures du rapport ?
Catherine Carpentier : Il y en a une autre qui porte sur un constat évoqué à plusieurs reprises lors de nos discussions : la pauvreté des produits présents sur le marché français, notamment en matière de portes coulissantes, de sanitaires et ou encore de seuils de porte-fenêtre. Une offre plus importante répondant aux normes d’accessibilité permettrait une mise en concurrence des fabricants et ainsi une réduction des coûts de construction. Le prix des produits adaptés peut aller jusqu’à quatre fois celui des produits classiques. Par ailleurs, Ils doivent être démocratisés, afin de pouvoir être assimilés au mobilier du quotidien et pas au milieu hospitalier.
Un deuxième point concerne la notion de « quota », bien que ce terme soit censé avoir disparu du vocabulaire de cette règle. Nous proposons que dans le cas des logements dits temporaires (logements étudiants, foyers de jeunes travailleurs…) ce ne soit pas 100% de ces logements qui soient accessibles mais seulement 10%. En effet, étant donné l’exiguïté de ce type d’habitat, qui peut descendre jusqu’à 16m2 avec chambre, coin cuisine et salle d’eau, l’incidence de la règle est dramatique. Il semble que l’Administration et les Associations soient d’accord pour aller dans ce sens… mais dans quel délai ?...
Qu’attendez-vous maintenant après la remise de ce rapport à la DHUP ?
Emmanuelle Colboc : Il nous paraît indispensable que les instances administratives puissent prendre le relais et rectifient au plus vite les règles qui ont un véritable impact sur la qualité des logements. Car, en attendant, beaucoup de logements continuent à être dessinés et construits, avec toutes les incohérences évoquées dans ce rapport. Ils n’apportent satisfaction ni aux valides qui ne comprennent pas la répartition des surfaces à l’intérieur de leur logement, ni aux personnes handicapées qui doivent continuer à faire des adaptations malgré la conformité à la règle. Les architectes construisent aujourd’hui des logements moins bien qu’hier.
Propos recueillis par Frédérique Vergne | Source LE MONITEUR.FR